FEYDEAU / NORÉN
À un siècle d’écart, le croisement de ces textes révèle le lien inextricable entre la mécanique de destruction de l’autre et l’accès à sa propre place dans le monde. On retrouve les mêmes principes dialectiques chez les deux auteurs, les personnages se répondent en détournant systématiquement le sujet de fond. Cette mécanique de destruction s’amplifie et se complexifie avec la présence d’un tiers. Ce dernier se voit donc confier un rôle crucial, car gagner la guerre nécessite sa présence.
FEYDEAU a fait évoluer le vaudeville en mettant en scène les dérèglements psychiques et les pathologies comportementales de son époque. Partant d’un fait vraisemblable, il bouleverse la marche ordinaire et «projette les corps dans l’espace traversé par des énergies opposées.» (Olivier Bara).
Il y a quelque chose d’existentiel dans la résistance des personnages au déroulé d’une action. Et c’est justement cette résistance qui les pousse à la folie. Avec son désespoir et sa cruauté, l’auteur d’un théâtre en perpétuel mouvement croque des humanités finalement proches de celles de Kafka, ce qui a fait dire de lui qu’il était le précurseur du théâtre de l’absurde.
« M. Georges Feydeau est un comique avec cruautés, avec violence. Il rit comme on se venge. » Gaston de Pawlowski
NORÉN écrit dans les années 80 des pièces sur la dégénérescence du couple (le même sujet que Feydeau un siècle plus tard). Il écrit juste après le deuxième mouvement féministe, là où Feydeau traverse le premier. Dans les années 80, les femmes peuvent voter, travailler, avoir un compte en banque, et choisir si elles veulent avoir un enfant ou non. Devant la loi, elles sont les égales des hommes. Dans les faits, on sait que non.
Dans les pièces de Norén, les personnages masculins ont toujours le souci de la représentation sociale et de la réussite. Les femmes ont celui de la recherche de place. Les propos sexistes et l’objectivation de la femme restent un fonctionnement dans le dysfonctionnement du couple.
Il est bouleversant de constater que, malgré les évolutions indéniables des droits des femmes, nous ne sortons pas de nos injonctions respectives. Le fonctionnement patriarcal reste inscrit en chacun.e.s de nous. Les arguments des résistances masculines et féminines demeurent les mêmes qu’il y a un siècle. Le couple chez Norén peut divorcer, mais il se retrouve, tout comme chez Feydeau, bloqué dans une joute névrotique pour exister socialement.